• Résumé :
    • Contexte et justification :

Dans les États africains, la part de l’emploi informel dans l’emploi total est particulièrement importante. Elle varie de 40,2 % en Afrique australe à  67,3% en Afrique du Nord et plus de 90% en Afrique centrale, orientale et occidentale. Elle correspond toutefois à une grande variété de situations que le recours à la notion d’informalité tend en grande partie à effacer. Sous le label de l’informalité sont ainsi incluses tant des situations de travail dépendant ou indépendant non déclaré que des activités pouvant relever de formes de coopération, voire être régies par la coutume ou l’entraide familiale. La vertu statistique de la notion d’informalité trouve ici sa limite. Elle ne permet pas de saisir la variété des formes normatives permettant aux acteurs de qualifier et coordonner leurs activités.

La référence au travail informel a pour partie été diffusée par le Bureau International du Travail (BIT). Il en a même pendant un temps assuré la promotion, notamment au travers du débat sur les politiques de développement et de la publication, en 1972, d’un rapport de mission multidisciplinaire pour l’emploi au Kenya (BIT, Emploi, revenus et égalité : Stratégie pour accroître l’emploi productif au Kenya, Genève, 1972). Désormais, l'analyse de l'Organisation internationale du Travail (OIT) est bien plus critique. La résolution concernant le travail décent et l'économie informelle adoptée par la conférence internationale du travail lors de sa 90e session en 2002 marque de ce point de vue un tournant. En adoptant en 2015 sa Recommandation n° 204, l’OIT a souligné combien « par son ampleur, l'économie informelle, sous toutes ses formes, constitue une entrave de taille aux droits des travailleurs, y compris les principes et droits fondamentaux au travail, à la protection sociale, à des conditions de travail décentes, au développement inclusif et à la primauté du droit, est qu'elle a un impact négatif sur l'essor des entreprises durables, les recettes publiques, le champ d'action de l'État, notamment pour ce qui est des politiques économiques, sociales et environnementales ainsi que la solidité des institutions et la concurrence loyale sur les marchés nationaux et internationaux » (Recommandation OIT n° 204 concernant la transition de l’économie informelle vers l’économie formelle, adoptée par la Conférence internationale du Travail, lors de sa 104ème session le 12 juin 2015 à Genève). L’OIT pose en principe que « la transition de l'économie informelle vers l'économie formelle est essentielle pour réaliser un développement inclusif et le travail décent pour tous » (Ibid). Pour mener à bien cette transition, la recommandation n°204 invite les États à mettre en place des stratégies cohérentes et intégrées visant à faciliter la transition vers l’économie formelle. La mise en place de ces politiques intégrées doit notamment reposer sur « des inspections du travail efficaces et effectives ». La Recommandation fait ainsi de l'inspection du travail un des acteurs clés de la transition vers la formalité. Elle engage les États membres à « disposer d’un système d’inspection adéquat et approprié, étendre la couverture de l’inspection du travail à tous les lieux de travail dans l’économie informelle afin de protéger les travailleurs, et fournir des orientations aux organes chargés d’assurer l’application des lois, y compris sur la façon de traiter les conditions de travail dans l’économie informelle » (Ibid). L’inspecteur du travail est ici un acteur clé. Il est investi de plusieurs fonctions susceptibles de saisir tout ou partie de l’emploi informel : droit de visite et de contrôle, rôle de conciliation informe ou obligatoire en cas de conflit ou de litige.

  • Objectif :

Interroger le rôle de l'inspection du travail dans la transition de l’informalité vers la formalité. Il s'agit tout à la fois de mieux comprendre le rôle des inspecteurs du travail face aux activités de travail dans l’économie informelle et, en même temps, de mettre à l'épreuve la solidité de la catégorie « informalité » par l'observation de l'activité de l'inspection du travail. Comment étudier et rendre compte du pluralisme des formes normatives caractéristiques des activités rangées sous la catégorie de l’informalité ? Notre hypothèse est que celles-ci se révèlent dès lors que les services d’inspection du travail se voient reconnus ou se reconnaissent un droit de regard sur tout ou partie des activités développées dans l’économie dite informelle, singulièrement lorsqu’ils adoptent une posture professionnelle à la fois proactive et pédagogique, mais aussi lorsqu’il leur arrive d’être saisis d’accidents du travail, de conflits collectifs et de litiges individuels. En particulier, nous voudrions étudier les situations dans lesquelles les formes normatives mobilisées dans le contexte de l’emploi informel sont mises à l’épreuve de la normativité étatique.

Le projet se déploie autour de 3 axes.

Un premier axe a pour objectif de comprendre les politiques de transition mises en place en Côte d'Ivoire et au Maroc afin d'assurer la transition de l'économie informelle vers la formalité. Il s'agit ici d'étudier l'impact des recommandations de l'OIT sur la mise en place au sein des administrations du travail de politiques de transition vers la formalité.

Les deuxième et troisième axes auront pour finalité d'aborder plus directement les postures et pratiques des inspecteurs du travail à l'égard du secteur informel.

Le deuxième axe vise la fonction de contrôle du respect des règles de droit du travail dont est investie l’inspection du travail. En quelle mesure ce contrôle peut-il s'appliquer aux situations de l'emploi informel ? La question est évidemment complexe. Elle implique plusieurs niveaux d'interrogation. La première, et non des moindres, concerne la compétence de l'inspection du travail. En quelle mesure les inspecteurs du travail sont-ils reconnus de jure ou se reconnaissent-ils de facto compétents pour contrôler ou promouvoir des droits de travailleurs de l’économie informelle ? Les postures de l'inspection du travail peuvent ici varier selon les pays étudiés d'une part, mais aussi selon les types d'informalités considérées. Le travail informel dans une entreprise déclarée, le travail indépendant, les formes de travail coutumier, le travail agricole… constituent autant de cas spécifiques.  Au-delà de la seule question du contrôle, la question de la compétence de l'inspection du travail à l'égard des types d’emploi de l’informel joue de surcroît un rôle important dans l'accès des travailleurs au procès et au juge du travail. Par exemple, en Côte d'Ivoire, la saisine du juge est soumise au préalable de la conciliation auprès de l'inspection du travail. Il n’est pas rare que l’inspecteur joue ici un rôle de filtre à l’accès au tribunal en ne se prononçant qu'à la condition que la relation de travail dont il est saisi constitue bien une relation de travail subordonnée. Les pratiques de l'inspection du travail consistent souvent à se déclarer incompétent en matière d’emploi informel du fait de l'absence de contrat de travail écrit. Plus largement, la question de la compétence de l’inspection permet d’analyser les manières dont se déploie l’activité de qualification des activités informelles. Dès lors qu'il se considère compétent, l'inspecteur du travail peut de plus adopter des postures différentes à l'égard des situations de travail atypique. S'agit-il de contrôler pour sanctionner la violation de la législation du travail ? L'inspection du travail a-t-elle au contraire un rôle de prévention ou de promotion d’une protection minimale prioritairement en matière d’emploi informel ?

Le troisième axe abordera la fonction de conciliation. En effet, l'inspection du travail a, tant en Côte d'Ivoire qu’au Maroc, une fonction de conciliation en cas de litige individuel du travail, ainsi qu’une mission de prévention et de régulation des conflits sociaux. Il s'agit là d'une fonction de l'inspection du travail qui n'est pas entièrement spécifique au contexte de l'Afrique de l’Ouest et du Maghreb. Le droit français a ici également servi en partie de modèle. Toutefois, cette fonction de conciliation occupe en Côte d’Ivoire et au Maroc une place particulièrement importante. Elle peut même en partie semblait se substituer à la fonction de contrôle dont est plus communément investie l'inspection du travail. Il s’agit bien plus souvent d’une inspection assise que d’une inspection debout.  Cette fonction de conciliation est à cet égard ambivalente. Elle vise bien évidemment à faciliter la résolution des litiges entre employeurs et travailleurs par le recours à l'inspection du travail. Elle peut également avoir pour partie un rôle de filtre de ces litiges. Ainsi, en Côte d'Ivoire, le procès-verbal de conciliation ou de non-conciliation est une condition nécessaire et préalable à la saisine du juge du travail. La déclaration d'incompétence de l'inspection du travail en matière de travail informel – et parfois plus fondamentalement encore l’a priori d’incompétence – peut très probablement constituer un obstacle à la saisine du juge quand bien même cette décision d’incompétence pourrait elle-même faire l'objet d’un débat devant le juge. Plus largement, quel est le rôle de l'inspection du travail dans la résolution des conflits du travail dans l’économie informelle ? Peut-il constituer un acteur important via ses fonctions de prévention des conflits, de conciliation des litiges individuels, de médiation ? Y a-t-il là un vecteur de transition vers la formalité singulièrement au travers des références des solutions de régulation/pacification faisant référence ou prenant pour modèle des standards du type représentation, négociation, organisation collective, salaire décent, discrimination…  ?

  • Principales méthodes :

1. Entretiens semi-directifs

Les entretiens seront menés auprès d’acteurs engagé dans le contrôle du respect des règles du droit du travail, susceptibles d’éclairer l’intervention de l’inspection du travail en matière d’informalité : inspecteur du travail, directeur du travail d’une part, avocat, membres d’organisations professionnelle, ainsi qu’ONG confrontée dans leurs actions au travail informel. Quelle représentation de l’informalité ? Comment est reçue la promotion de la transition de l’économie informelle vers l’économie formel par l’Organisation international du travail au Maroc et en Côte d’Ivoire ? De quelles fonctions est investis l’inspection du travail ? Comment les inspecteurs du travail conçoivent-ils leur rôle et apprêtent-ils leurs pratiques aux situations de travail informel ? Comment les partenaires sociaux, acteurs de la société civile, ou professionnels du droit intégrent-ils l’inspection du travail dans leur action en lien à l’informalité.

2. Recueil et analyse des documents

Le matériel sera, ici, constitué des rapports, documents, normes produite par l’Organisation international et les administrations du travail marocaines et ivoirienne en lien avec l’informalité.

Le troisième axe du projet portera sur l’analyse de dossier de plaidoirie et des jugements sur des affaires ayant traits au travail informel et ayant impliqué l’inspection du travail à un moment de la procédure (note d’avocat, preuve, documentation juridique, conclusions, rapports, décisions de justice).