Dans les domaines de la gouvernance – notamment sanitaire et environnementale –, de nouvelles formes de normativité se sont imposées en Afrique (comme ailleurs), conduisant à un alignement de plus en plus marqué sur les standards normatifs du monde globalisé et, en particulier, à la généralisation de l’usage d’indicateurs ainsi que de modèles statistiques, articulés à des répertoires déontiques, complémentaires ou antagoniques, dans un mouvement tendant à la densification, voire à l’hyper-densification normative des sociétés contemporaines. Le paradoxe est que cette hyper-densification, censée améliorer la gouvernance des sociétés et de l’environnement, produit des conflits d’interprétation, des alternatives dissensuelles et, partant, de l’incertitude, voire aboutit à un déni relatif de scientificité qui peut prendre la forme de la surdétermination ou de la sous-détermination d’énoncés scientifiques portant sur la nature des choses par des énoncés portant, eux, sur les responsabilités vis-à-vis de celles-ci. L’une et l’autre attitudes ne nient pas la scientificité de la science, mais consistent à gérer – à partir d’autres ordres de grandeur – la portée et, dans certains cas, la validité des énoncés qui s’y réfèrent. Les énonces scientifiques sont ainsi emboîtés dans des discours servant à régler leur application au monde de la vie quotidienne.
- Résumé :
- Contexte et justification :
Dans les domaines de la gouvernance – notamment sanitaire et environnementale –, de nouvelles formes de normativité se sont imposées en Afrique (comme ailleurs), conduisant à un alignement de plus en plus marqué sur les standards normatifs du monde globalisé et, en particulier, à la généralisation de l’usage d’indicateurs ainsi que de modèles statistiques, articulés à des répertoires déontiques, complémentaires ou antagoniques, dans un mouvement tendant à la densification, voire à l’hyper-densification normative des sociétés contemporaines. Le paradoxe est que cette hyper-densification, censée améliorer la gouvernance des sociétés et de l’environnement, produit des conflits d’interprétation, des alternatives dissensuelles et, partant, de l’incertitude, voire aboutit à un déni relatif de scientificité qui peut prendre la forme de la surdétermination ou de la sous-détermination d’énoncés scientifiques portant sur la nature des choses par des énoncés portant, eux, sur les responsabilités vis-à-vis de celles-ci. L’une et l’autre attitudes ne nient pas la scientificité de la science, mais consistent à gérer – à partir d’autres ordres de grandeur – la portée et, dans certains cas, la validité des énoncés qui s’y réfèrent. Les énonces scientifiques sont ainsi emboîtés dans des discours servant à régler leur application au monde de la vie quotidienne.
Si l’on suit la majorité des discours mettant en garde sur le réchauffement climatique et les arguments scientifiques qu’ils contiennent, la voie à suivre apparaît pourtant, sinon simple, du moins claire. Toutefois, se pose la question des mesures pratiques à prendre pour lutter contre celui-ci, de leur acceptabilité sociale et de leur impact sur le développement du continent. D’un point de vue africain, il n’est pas illégitime de considérer que les nations développées doivent faire le principal de l’effort. Ce point de vue, cependant, se réfère à un autre principe d’ordre que celui qui conduit à promouvoir la lutte contre le réchauffement. Ici, le principe d’équité sous-détermine l’urgence écologique et les énoncés scientifiques sur lesquels elle repose.
La mise en cause de ces énoncés pose une question épistémique (et épistémologique), celle de l’enchâssement des données sur la nature dans des narratifs normatifs seuls à même d’en faire des guides pour l’action. Il n’y a pas de naturalité de la science et donc il n’y pas de naturalité (au sens d’une évidence se suffisant à elle-même) des positions pro-environnementales, mais un travail de « réalisation » de celles-ci, ainsi que le souligne de manière incontestablement heuristique l’ethnométhodologue allemand Thomas Scheffer (https://www.fb03.uni-frankfurt.de/116042899/Forschung?). Ce travail consiste à les rendre réelles pour les acteurs en les reliant à des jeux de normes et de déférences, à l’instar de la déférence envers la science. Il s’agit d’un travail conduit par les membres de la société (à différents titres) et non du constat d’une évidence. Il mobilise d’abord des communautés épistémiques (au sens de Haas : Epistemic communities, constructivism, and international environmental politics. Londres, Routledge, 2015), dont la tâche consiste à donner une signification sociale aux énoncés scientifiques, à partir d’une connaissance experte de ceux-ci. Toutefois, cette production épistémique est elle-même réinsérée dans des narratifs plus maniables afin de promouvoir l’action des autorités publiques ou mobiliser l’opinion (comme le font, par exemple, les ONG de plaidoyer). C’est à ce stade qu’apparaissent les controverses. En effet, si les résultats scientifiques peuvent difficilement être pris à partie (faute des compétences nécessaires pour les réfuter ou les soutenir techniquement), il n’en est pas de même des narratifs qui les incorporent. Beaucoup d’entre eux contiennent, en outre, des registres normatifs pouvant servir à soutenir des positions contraires à celles qu’ils énoncent. Le registre de la « justice » peut, par exemple, justifier l’idée selon laquelle les Etats africains ne doivent pas participer à la mise en danger de la planète comme à justifier le fait qu’ils n’aient pas à sacrifier leur développement afin de diminuer l’impact d’énergies carbonées dont l’Europe, l’Amérique et une partie de l’Asie sont les principales consommatrices. Plus globalement, ils peuvent refuser une définition unilatérale des enjeux planétaires. Cette attitude implique, d’une manière ou d’une autre, l’adoption d’une relativisation des enjeux climatiques – c’est-à-dire du niveau de risque de ceux-ci – et, donc, une relativisation des résultats scientifiques à partir desquels s’opère la « réalisation » de la crise climatique.
- Objectif / Objective :
Documenter et analyser cette dynamique, en montrant notamment qu’elle ne résulte pas, tout simplement, d’attitudes sceptiques fondées sur les intérêts particuliers ou de « l’illittératie » scientifique de telle ou telle partie de la population. Elle découle, d’abord, de l’incontournable enchâssement des travaux scientifiques dans des narratifs contextualisés qui en rendent possibles la diffusion et qui, en même temps, les relativise, c’est-à-dire les rendent accessibles à d’autres points de vue et, surtout, à des enjeux normatifs tout aussi existentiels que l’anxiété climatique. La détermination des priorités n’est pas une question qui puisse être considérée de manière décontextualisée, c’est-à-dire indépendamment des statuts et des positionnements relatifs des diverses communautés pour qui elle se pose.
Il en découle que les communautés épistémiques ne parlent pas toutes d’une « voie planétaire ». Elles parlement aussi et, le plus souvent, localement. Et, en toute état de cause, elles sont entendues localement. Ce jeu d’échelles demande a être décrit pour ce qu’il est, afin de bien cerner, comprendre et décrire les phénomènes de relativisation des énoncés scientifiques
- Principales méthodes / Main methods :
1. Entretiens semi-directifs
Les entretiens seront notamment conduits avec des membres des communautés épistémiques et des ONG de plaidoyer, ainsi qu’avec des personnes ordinaires. Ils ne seront pas le cœur du matériel de recherche. Ils auront principalement un caractère propédeutique, permettant de documenter les circonstances, les moyens et les motivations des positionnements par rapport au changement climatique.
2. Recueil et analyse des documents
Le matériel sera, ici, constitué de débats de presse, de publications sur des sites, de rapports. On recherchera, notamment, des publications se référant les unes aux autres, formant ainsi un « réseau dialogique » (Nekvapil et Leudar : Media dialogical networks and political argumentation. Journal of Language and Politics, 3(2), 247-266, 2004), en tant qu’ils constituent des états de croyance publics sur une thématique. On recherchera également des sites d’échanges ou des commentaires liés à des articles de presse.
3. Observation participante
Dans les réunions portant sur le changement climatique, qu’elles soient scientifiques, de plaidoyer ou liées au travail de certaines communautés épistémiques.
L’approche sera comparative, portant sur le Maroc et le Sénégal. Le raccrochement avec la Côte-d’Ivoire se fera durant le projet d’amorçage, en vue de la mise en place d’un programme de recherche plus ample.